Le réveil en eau trouble Louise/Leith

Blessure:

C'était l'heure. Ce petit rituel avait lieu depuis l'accident, cet accident qu'elle avait vécu de ses yeux et qui venait parfois encore hanter ses nuits. Simple piétonne ce jour là, comme la majorité du temps. Simple témoin d'une horreur qu'elle aurait voulu éviter. Ce jour-là, elle avait été surprise par son sang froid, par ses capacités à réagir, par sa force face à l'étendu des dégâts. Elle avait appelé les secours, garder un oeil sur la victime. Et aujourd'hui, comme tous les autres jours, elle venait rendre visite à celui qu'elle avait secouru comme elle avait pu. Un coma et de sévères blessures. Elle ne connaissait de lui que ce visage tuméfié, que les divers bandages et plates et ce bip incessant des machines. Simple signe qu'il était encore en vie.
Elle avait quitté la boutique un peu plus tôt, pour passer chez le fleuriste avant d'arriver dans les couloirs tristes de l'hôpital. Sur ses lèvres, elle avait le sourire, comme toujours. Elle saluait chaque membre du personnel, chaque visiteur comme si elle les connaissait. Comme chaque fois, elle s'obligeait à frapper à la porte sans jamais entendre de réponse. « Bonjour, c'est Louise. » Elle n'était pas sûre qu'il pouvait l'entendre, on lui avait dit de le faire pourtant. Pour essayer, au cas où. L'incertitude de la convalescence, Louise connaissait aussi. Son père venait souvent ici, presque trois fois par mois pour des traitements, des rendez-vous ou des comptes rendus. Face à l'accidenté, Louise était toujours incertaine. Il lui fallait un instant pour se laisser aller à un monologue. Elle racontait l'actualité, les potins peu intéressants des célébrités, parfois elle lisait des romans.
Mais aujourd'hui, les choses allaient être différentes. Elle n'avait pas eu le temps de s'installer qu'elle avait pu voir des signes de réveil de ce patient. Un gémissement entre ses lèvres. Plainte qui avait arraché un frisson à Louise. « Vous ne devriez pas bouger. » Il y avait un léger tremblement dans sa voix. Presque imperceptible, symbole de son empathie face à la douleur qu'il ressentait.  « Oh pardon ... vous vous posez surement plein de questions ... je ne sais pas si je suis la plus apte à y répondre, mais ... » La nervosité avait gagné son esprit, son corps. Elle était face à cet homme, cet inconnu sans savoir quoi dire, sans savoir quoi faire non plus. « Je vais appeler quelqu'un, d'accord ? » Elle avait simplement appuyé sur un bouton. Et puis quoi ? Attendre sans rien dire ne lui ressemblait pas. « Vous êtes à l'hôpital, vous avez eu un accident de voiture, assez important. » Mais qui était-elle pour dire cela ? Elle ne connaissait rien de son dossier médical. Elle avait simplement vécu cet accident, de ses yeux. « Pardon, je parle trop quand je suis nerveuse, mais j'attendais votre réveil avec impatience. » Elle souriait toujours, sans savoir s'il pouvait le voir, s'il pouvait distinguer les traits de son visage qui n'avait de cesse de le regarder.

@Leith MacNulty  

Chaque fois qu'elle était près de cet homme, elle se demandait si c'était réellement sa place. Si elle avait véritablement le droit d'être assise auprès de lui. Elle n'était personne, rien ne la relier à cet inconnu, elle avait entendu vaguement son nom de famille de la bouche des médecins, sans en savoir plus. Derrière toutes ces ecchymoses, ces blessures, il y avait un homme. Un être humain véritable et pourtant, il n'y avait pas d'histoire à mettre sur les traits encore intact de sa peau. Elle avait bien essayé d'en inventer une, d'imaginer quelque chose pour lui offrir un semblant d'existence. Elle en avait eu besoin, Louise. Comme pour se rassurer, comme pour se dire qu'il n'était finalement pas tout seul dans ce vaste monde. Jamais pourtant elle n'avait vu quelqu'un à son chevet et pourtant, elle venait chaque jour. L'espoir un peu vain qu'il finisse par ouvrir les yeux pour lui raconter son histoire. La vraie, pas celle qu'elle avait imaginé.
Et aujourd'hui, l'espoir avait finalement payé quand elle avait aperçu le bleu de son regard. Paniqué, sans aucun doute. Perturbé par la situation dont il n'avait certainement pas conscience. Louise, elle, elle ne savait pas quoi faire, tétanisée par ce réveil qu'elle avait pourtant imaginé cent fois. Incapable de comprendre ce qu'il pouvait dire. Il n'y avait bien que le médecin pour ça, pour l'obliger à quitter la pièce. Son premier réflexe avait été d'envoyer un message à son père. Papa, l'homme de l'accident est enfin réveillé. Je crois que tout ira bien pour lui. Au fond, elle n'en était pas sûre. Louise, elle ne connaissait la médecine qu'à travers les séries télévisées. Elle savait que ses blessures étaient sérieuses, qu'il lui faudrait du temps et beaucoup d'interventions et de rééducation pour se remettre d'un tel accident. Elle savait qu'il n'était pas totalement tiré d'affaire et pourtant, une petite voix venait souffler à son oreille que tout irait bien. Avec le temps. Beaucoup de temps.

Elle avait finalement regagné la chambre après la sortie du médecin. Sans trop savoir ce qu'elle allait pouvoir faire à présent, ni quoi dire. Elle s'était placée près de lui, pour qu'il la voit, qu'il sache qu'elle était de nouveau près de lui. Sa question, elle l'avait attendu. Comme si elle savait que ce serait la première. « Louise. Je m'appelle Louise, mais vous ne me connaissez pas. Et je ne vous connais pas non plus... » Elle avait conscience de l'étrangeté de ses propos. Que faisait-elle ici alors ? « J'étais présente le jour de votre accident. C'est moi qui ai appelé les secours et qui suis restée près de vous jusqu'à leur arrivée. » Elle avait un souvenir si net de ce jour. Elle avait tenu sa main, supplié pour qu'il reste en vie. Dans ce chaos, elle savait que les dommages seraient important. Le choc avait été violent, soudain. Il était même miraculeux qu'il ait survécu. « Je ... ne me prenez pas pour une folle, ce n'est vraiment pas de la curiosité mal placée, je tenais juste à vous rendre visite et à veiller que vous alliez bien. » Elle s'était persuadée que sa présence était nécessaire. Pour lui, pour l'aider à sortir du coma et à se remettre. « Je ne savais pas si quelqu'un viendrait vous voir à votre réveil, ni si vous auriez besoin de quelqu'un chose. » Il aurait sûrement préféré qu'une autre personne soit là, quelqu'un de sa famille, une petite-amie, un ami. Elle n'en savait rien. Elle n'était rien. Juste cette femme qui avait accordé son temps à un inconnu. « Pardon, je parle encore trop ... » Elle avait baissé les yeux, ses mains s'étaient naturellement emmêlées. Elle était encore une fois trop nerveuse.

@Leith MacNulty

Dans le fond, il y avait cette petite voix. Celle qui n'avait cessé de lui répéter qu'elle n'aurait pas dû être là, qu'elle n'avait pas sa place auprès de cet inconnu. Puis il y avait l'autre. Un peu ange et démon sur ses épaules fragiles. Une bataille avec sa conscience qui l'avait poussé à revenir chaque jour voir cet homme bien abimé mais vivant. Un miracle face à violence de ce qu'elle avait vu. Ou peut-être exagérait-elle. Il y avait tout de même quelque chose de miraculeux dans ce qu'il s'était produit. Louise, elle avait simplement espéré trop fort pour qu'il se réveille. Un peu curieuse de connaitre son histoire, un peu craintive aussi face à l'issu de cette histoire.
Des questions, Louise en avait eu des centaines. Peut-être plus encore. Simplement parce que face à lui, dans le silence de cette chambre, elle avait eu l'occasion d'imaginer la vie qui se cacher derrière toutes ses blessures. La compassion l'avait longuement habitée, les séquelles auraient pu être terrible pour un sportif, pour un actif, pour un fou de sensation forte. Pour un homme banal aussi. Elle avait eu de la peine à le regarder mais aujourd'hui, tout était envolé. Parce qu'enfin il était réveillé.
Elle lui avait parlé, en revenant dans sa chambre. Trop vite, surement trop fort. Si peu habituée à des situations de ce genre. Elle ne se reconnaissait pas vraiment. Ce mélange d'excitation, de curiosité et cette pointe d'inquiétude la rendaient particulièrement nerveuse. « Ce n'est pas grand chose. Même si vous auriez sûrement préféré avoir un visage plus familier au réveil. » Ou peut-être pas. Elle n'avait aucune idée de qui aurait pu lui rendre visite, mais au moins, il n'était pas seul. Perdu entre ces quatre murs d'hôpital, ces machines bruyantes et sa solitude. « Oh ... oui, pardon. Mauvaises habitudes. » Sa vie, elle la vivait trop vite, trop fort. Des habitudes restées de sa vie new-yorkaise, pas les meilleures. Elle parlait souvent trop vite, par nervosité mais son débit restait rapide même lorsqu'elle était calme. Trop fort, parce qu'elle le devait sans arrêt à la boutique, pour faire tourner son équipe. Et pour Leith qui venait de sortir du coma, elle devait être particulièrement troublante et insupportable. « Enchantée également Leith. » Elle s'était empressée de lui tendre la main à son tour pour ne pas qu'il force plus. Une poignée légère, un salut très officiel dans une situation peu conventionnelle. Louise lui avait souri, plus encore que le sourire toujours accroché à ses lèvres. « Oh bien sûr, attendez ! » Elle avait couru hors de la chambre, cherché une infirmière pour récupérer un gobelet et une paille. Elle ne savait pas combien de temps elle avait mis, mais elle avait fini par revenir dans la chambre, le saint graal entre les mains. « Tenez, ça devrait vous faire du bien. » Inutile de dire qu'elle n'avait aucune idée de si c'était vraiment le cas. « Vous avez besoin d'autre chose ? »


@Leith MacNulty